Le président de l'Assemblée de Corse Jean-Guy Talamoni organise un cycle de conférences pour le bicentenaire de la mort de Napoléon. Photo : Michel Luccioni
Napoléon Bonaparte est un personnage controversé au sein de votre famille politique - et même au-delà. Pourquoi avoir organisé ce cycle de conférences pour commémorer le bicentenaire de sa mort ?
C’est vrai que Napoléon ne fait l’unanimité. Il y a des personnages historiques, comme les chefs de la Résistance, qui font, eux, l’unanimité. Napoléon, c’est différent. Il y a des Corses qui veulent célébrer Napoléon, notamment à Ajaccio - mais pas uniquement, et puis il y a des Corses qui le critiquent de manière très sévère et qui font état de fautes difficilement pardonnables, donc on peut comprendre cette opposition, notamment au sein de la famille nationaliste, mais pas seulement. Néanmoins, aujourd’hui il s’agit pour les institutions de la Corse non pas de célébrer Napoléon, comme on a pu le faire pour Pasquale Paoli, mais de commémorer le bicentenaire de sa mort.
Vous notez une différence entre célébrer et commémorer ?
J’ai proposé à l’Assemblée de Corse qu’on fasse la différence entre célébration et commémoration. Célébration, c’est mettre en valeur le caractère lumineux du personnage, c’est le présenter de manière positive, c’est le proposer à l’admiration des générations d’aujourd’hui. Commémoration, c’est simplement se souvenir ensemble. Les institutions doivent commémorer et donner l’occasion de dialoguer.
Vous appelez à ne pas juger l’histoire à l’aune de notre système de valeurs contemporain.
L’histoire, il faut l’examiner à travers une approche complexe et non simplifiante. Il faut, en effet, se garder de juger à travers notre système de valeurs. Nous vénérons Pasquale Paoli mais pour autant, nous ne voudrions pas que la justice soit rendue comme à l’époque. Je rappelle qu’il a fait passer par les armes et parfois même dépecer nombre de ses contemporains. C’était le 18ème siècle, c’était une autre époque.
Pour assurer la cohésion nationale vous plaidez pour un « imaginaire polyphonique », de quoi s’agit-il ?
Les politiques de mémoires peuvent être conflictuelles. L’idée, c’est de les apaiser. En Corse, il existe aujourd’hui des interprétations historiques et des mémoires différentes : d'une part, une interprétation « paolienne », celle que partage notre majorité, mais il y a aussi une interprétation pro-française de certains historiens et politiques. Mais il y a également une mémoire génoise à Bastia et à Bonifacio, et à Cargèse une mémoire grecque. Tout cela fait ce que nous sommes aujourd’hui. Et si nous avons a une majorité paoliste, il ne faut pas que nous en profitions pour imposer un roman national. Je plaide au contraire pour une pluralité de récits constitutifs d'un « imaginaire polyphonique ». Non seulement toutes ces mémoires doivent cohabiter, mais aussi dialoguer entre elles. Dans cette perspective, commémorer la mort de Napoléon sera l’occasion de faire dialoguer les différentes interprétations historiques, c’est le contraire de raviver les braises de conflits éteints depuis des années et cela me parait sain et nécessaire.
Une philosophie dans la droite ligne du projet Paoli-Napoléon ?
C’est dans cet esprit, en effet, que j’avais lancé le projet Paoli-Napoléon, qui continue à être porté au titre de l’université. En ce moment, il se développe via un partenariat avec la Communauté de Communes Lisula-Balagna. Ce projet comporte un volet travail scientifique d’un côté, et une démarche de développement et valorisation économique de l’autre. C’est un projet global, non pas de glorification mais de réflexion et de travail pour faire en sorte que la Corse se réapproprie pleinement les figures de son histoire.
Les conférences seront retransmises en direct sur le site de l’Assemblée de Corse ainsi que sur sa page Facebook à un rythme hebdomadaire, tous les mardis de 18h30 à 19h30 à partir du 6 avril.